La kilbe du 4 juillet 1786 - 1/3

Publié le par Jean Marie PFISTER

La kilbe du 4 juillet 1786

 

 

Prologue

 

Un village est un être vivant : il naît, grandit, se développe en traversant des crises de croissance.

Zellenberg est né au flanc d’un coteau et son berceau était décoré de sarments de vignes. Il semble bien que des moines bénédictins venus du monastère de Luxeuil au IXe siècle baptisèrent cet enfant, qui n’avait alors pour tout domaine qu’une petite église sise à l’emplacement du cimetière actuel, et un modeste ermitage, une " cella ".

Quelques siècles plus tard, mais que sont les siècles pour un village, l’enfant avait vu son domaine s’agrandir de plusieurs cours ou fermes, des " casa dominica cum granica " dont s’occupaient alors les bénédictins de Marmoutiers et, après eux, les bénédictins d’Erstein et enfin, au XVIe siècle, le chapitre des nobles Chanoines de la cathédrale de Strasbourg.

Ainsi donc Zellenberg eut de pieux éducateurs dans son enfance, ce qui explique que le village est resté catholique au milieu de localités protestantes. Ces doctes personnages avaient confié sa protection aux sires de Horbourg, qui le dotèrent dès 1252 d’un manteau de murailles agrémenté d’un château fort.

Lorsque s’éteignit la maison de Horbourg, au milieu du XIVe siècle, les sires de Ribeaupierre prirent leur succession.

Peu à peu Zellenberg s’installa complètement sur la colline, à l’abri de ses murailles. Au XVe siècle le village du bas, " das nidere dorff Zellenberg " se réduisit bientôt à la seule église paroissiale. Celle-ci dut d’ailleurs être sérieusement restaurée après la guerre de Trente Ans. On préféra alors abriter le culte dans la chapelle St Michel du château.

L’enfance de ce village fut donc marquée d’évènements divers; nos princes nous valurent tantôt de belles festivités, mais plus souvent de dures épreuves pendant de nombreux conflits armés où la ville et le château subirent les affres des sièges.

Alors, lorsqu’on sent monter la sève de l’adolescence, on ne s’accommode plus des brimades, des obligations, des redevances et des interdits. Les jeunes de tous les temps savent cela. Un besoin d’émancipation, de libération de toute contrainte suscite des conflits d’insubordination, des atmosphères de fronde et de rebellions. C’est la première crise de croissance, celle de l’adolescence.

On était alors au XVIIIe siècle. Un vent de changement soufflait sur tout le pays. Partout on se mettait à secouer le joug de l’ancien régime, avec les privilèges et les droits féodaux des nobles, avec les charges fiscales qu’imposaient le roi, la noblesse et l’église, avec les mille entraves aux libertés humaines.

Dans tout le pays des frictions, des craquements, des sabotages, des résistances plus ou moins passives présageaient la tempête. De plus en plus on braconnait le gibier et les poissons, on coupait les arbres, on désertait les corvées.

Le corset de nos murailles était devenu gênant et d’ailleurs dérisoire, si bien qu’en 1760 on bâtit la nouvelle église hors des murs. Et en 1785 François Antoine Muller, revenant de Moscou, érigea un manoir à l’écart de la vieille ville, près de la fontaine à balancier. Alors, pourquoi encore se formaliser d’anciennes coutumes et de privilèges désuets. On transforma les fossés de la ville (propriété seigneuriale) en potagers. On perça les murailles de portes; et tout cela sans se soucier de requêtes ou d’autorisations en due forme. Le bailli s’énerva en vain. L’autorité " parentale " devenait bien fragile. Pour sauver les apparences, on rédigea par la suite quelques baux emphytéotiques. Certains bourgeois, dont les maisons se trouvaient à peu de distance du mur d’enceinte, agrandirent leurs logements jusqu’à ces murailles et y appuyèrent des chevrons, élargissant ainsi les combles. D’ailleurs à la fin du siècle la grande Révolution vint entériner toutes ces actions, et le château lui-même, dernier vestige de la puissance " paternelle " fut démantelé.

Notons qu’en 1786, trois ans donc avant la Révolution Française, les habitants de Zellenberg firent leur propre petite révolution. C’est surtout aux jeunes qu’il convient d’attribuer l’honneur de ce soulèvement pour les libertés, pour s’opposer aux droits féodaux, pour se défaire en particulier du honteux racolage, ce symbole du régime.

Le racolage: Avant l’établissement de la conscription, l’armée du roi se recrutait par voie d’engagements. Depuis le règne de Louis XIV l’engagement devait, en principe, être volontaire. Mais en fait, il résultait en général de moyens déloyaux et rusés, abusant de la crédulité des pauvres.

Les faits racontés dans le récit qui suit sont réels, historiques. Les personnages ont vécu ; leur état civil se retrouve dans les registres paroissiaux de la commune et leurs noms dans les procès-verbaux établis sur cette affaire. (pièces déposées aux archives départementales du Haut-Rhin)

 1/ Les corvées

-Ouf, il fait déjà bien chaud, et il n’est que six heures.

-Vas-y doucement. J’arrive à peine à te suivre. Tu sais, je ne veux pas me tuer pour le prince !

Ils étaient trois robustes jeunes paysans, à abattre par larges andains le grand pré de la " Greff ", propriété seigneuriale. A cette époque, en 1786, chaque homme de Zellenberg devait annuellement deux journées de corvée à la seigneurie. C’était une vieille coutume et le " Rotbuch " de 1490 spécifiait : un jour pour piocher les vignes, et un jour pour les sarcler. Philippe, Frédéric et Antoine avaient accepté de bon gré de prendre la faux plutôt que la pioche, lorsque le bailli Lichtenberger les en avait priés. D’autres, d’ailleurs, réglaient cette obligation féodale en espèces.

Le pré s’allongeait dans ce thalweg où court un petit ruisseau caché dans les aubépines et les saules. Ici stagnent les brouillards matinaux ; c’est pourquoi la vigne évite ces fonds menacés par les gelées printanières. Le soleil émergeait de derrière les monts de la forêt noire et dorait les pentes vosgiennes de ses chaudes couleurs. Vers le midi, comme un galion voguant sur la houle de nos collines vertes de vignoble, avec en gaillard d’avant son château médiéval, notre petite ville sur son promontoire dominait son domaine comme un petit Carcassonne alsacien, ceint de murailles et de tours. C’est ainsi que les graveurs bâlois, du nom de Merian, l’ont admirablement dessinée pour la postérité.

Quant au " Prince ", son Altesse Sérénissime, monsieur le Prince Maximilien Joseph des Deux-Ponts, Prince Palatin du Rhin, Duc de Bavière, Comte de Ribeaupierre et de Hohenack, Brigadier des Armées de sa Majesté très Chrétienne, Mestre-de Camp propriétaire du Régiment d’Alsace, etc…., il résidait le plus souvent dans son hôtel de Strasbourg ou dans ses châteaux de Bischwiller ou des Deux-Ponts, plus rarement à Ribeauvillé, et seulement par courtes apparitions à Zellenberg.


Le soleil matinal de juin allumait déjà les gouttelettes de rosée sur les herbes en pleine floraison et le rythme régulier des trois faux avait repris sa cadence. On parlait peu, si ce n’est pendant la petite pause, au bout du champ. Alors les lames chantaient sous les caresses de la pierre; et aussitôt le ballet reprenait ;

-Tiens, la Suzanne amène le casse-croûte !

-Eh oui, il est sept heures au clocher.

-Dépêchez-vous, les garçons. Pour chacun deux œufs durs, du pain, de la piquette. Et bon appétit !

-Merci Suzanne. C’est à la cuisine du château que tu as eu tout ça ?

-Mais naturellement. Et je vous ai bien servis ; Vous ne pouvez pas vous plaindre.

Le château fournissait repas et boisson aux hommes de corvée. En saison froide, c’était plutôt une soupe épaisse de farine grillée.

Les hommes épluchaient consciencieusement leurs œufs, et se passaient le tonnelet (le loyala) de trois à quatre pots.(Le pot valait environ un litre et demi)

-Alors, ma petite Suzy, on te fait travailler dur au château ?

C’est Antoine Rudolf qui exprimait ainsi une sympathie particulière pour la jolie Suzanne, que le bailli Georges Lichtenberger avait prise à son service. Elle ne rechignait pas à l’ouvrage.

-Oh, pas plus que je n’en faisais à la maison : le ménage, la cuisine. Le vieux Mathis s’occupe du reste, de la basse-cour, de l’écurie…

-Tu sais, il n’est pas très beau, ton château. Chaque tempête démolit un peu plus ses murailles ; et le sol bouge ! (La colline est sujette aux glissements de terrains.) On ne répare plus rien !

-Mais l’habitation est encore bonne! Les murs, les tours, pourquoi les réparer, ils ne servent plus à rien !

-Oui, tout ça c’est le passé qui s’écroule! ajouta Philippe. Et ce n’est pas dommage. Mais ce qui tient bon, c’est nos impôts, nos dîmes, nos corvées. Personne n’ose ouvrir le bec ! Nos grands-parents, nos parents se sont toujours laissé tondre comme des moutons. Moi, ça me met en boule ! Antoine, tu ne crois pas, toi, que la jeunesse d’aujourd’hui n’a plus cette mentalité-là ?

-Là je suis bien d’accord. Mais ce n’est pas encore nous qui allons y changer grand chose; que pouvons-nous faire, sinon serrer nos poings dans nos poches ?

-Ca dépend ! ça dépend ! Laisse venir l’occasion ! intervint Frédéric.

-L’occasion ?…. Regarde, elle vient par le chemin de Ribeauvillé. Va donc t’y frotter !

L’occasion dont parlait Antoine, débouchait au sommet de la côte sous la forme d’un groupe de cinq cavaliers.

 

En 1252 Walter III de Horbourg construisit le château et fortifia l’agglomération de Zellenberg qui pouvait donc prétendre au nom de ville. L’évêque de Strasbourg Henri, avait permis à Walter III de construire le château " in sumitate montis dicti Zellenberg " à la condition que cette forteresse serait toujours sa propriété et que les portes lui en seraient toujours ouvertes.

Sur deux côtés le château avait une double enceinte et le côté nord avait sa défense avancée constituée par la ville elle-même entourée de murailles. Le château comptait quatre tours d’angles rondes et un donjon très élevé côté nord, protégeant l’entrée et le pont-levis qui enjambait le Halsgraben, sans eau évidemment.

A la veille de la Révolution, le Château était en fort mauvais état et les glissements de terrain causaient d’inquiétantes lézardes. Ce fut donc une ruine que l’on vendit comme bien national à un bourgeois de Ribeauvillé, Christian Bott, en 1791.

 

 

2/ Une visite surprise.

 

-Mon Dieu, dit Suzanne, il faut que je retourne vite au château : on va certainement avoir du monde !

Pendant que, d’un pas léger, la petite bonne reprenait le chemin du bourg, nos trois faucheurs suivirent un moment des yeux ce petit peloton de militaires, qui prenait le chemin du village, ce qui les intriguait fort. Ils se remirent à leur besogne sous un soleil de plus en plus ardent, en bougonnant.

-Qu’est-ce qu’ils veulent encore, ceux-là ?

Vers midi, le pré était tondu, et l’herbe étalée. Les trois jeunes gens, faux à l’épaule et le pas lourd, remontèrent vers le bourg.

-On n’a pas vu revenir les cavaliers ; ils sont sans doute encore au château, opinait Frédéric.

-C’étaient, je crois, des hommes du Royal-Alsace de Strasbourg. Il y avait un officier, disait Philippe.

-Possible, ajoutait Frédéric ; mais que veulent-ils ?

-Suzanne pourra peut-être nous l’apprendre.

Antoine précisait qu’il allait la voir le soir même, lorsqu’elle chercherait le lait chez lui, à la maison. Soulignons qu’Antoine, le dernier des dix enfants de son père Laurent décédé depuis deux ans, était resté célibataire jusqu’à ce jour, et vivait au foyer de sa mère, née Marguerite Becker, et de son grand frère Laurent qui dirigeait à présent l’exploitation. C’est donc avec des suppositions et un peu d’inquiétude que les trois amis rentrèrent chez eux. L’après midi n’apporta rien de nouveau, sinon qu’on vit repartir les cavaliers vers Ribeauvillé, pendant qu’on retournait le foin. Il y avait bien un capitaine, un bas-officier et trois hommes. Ils disparurent derrière la côte.

Ce soir là Antoine attendait sa petite Suzy, plus tendu qu’à l’ordinaire. Lorsqu’il entendit son pas léger crisser sur le gravier de la " Hintergasse ", il sortit de la porte cochère.

La maison Rudolf avait été acquise par le grand-père d’Antoine , Jean Rudolf, né à Stauffen en Brisgau, qui, en 1684 avait épousé Catherine Ulrich de Zellenberg. Il avait fait la connaissance de Catherine pendant les vendanges, cette époque de l’année où se nouaient souvent des liens avec des vendangeurs venus de Bade, de Suisse ou du Sundgau.

-Bonsoir Suzy ! Alors, ces cavaliers, t’as des nouvelles ?

-Oui, de bonnes nouvelles ! Nous avons la kilbe cette année ! Figure-toi : c’étaient des gens du Royal-Alsace, un capitaine et un sergent-major. Ils ont mangé à la table du bailli. Entre deux plats, j’ai compris qu’ils parlaient de la fête patronale. Après deux heures , avant de se mettre en selle, le sergent, c’était Ottinger, tu sais, celui qui a été ici il y a trois ou quatre ans, avant de partir il m’a dit : " Suzel, on va danser le quatre juillet, hein ! "

Antoine rougit, interloqué un moment. Puis :

-Ah oui !…C’est ça, la bonne nouvelle ! Tu te réjouis de danser avec lui… Bien… Va, le lait est prêt, dans le pot !

Et Suzanne n’eut même pas le temps de voir disparaître Antoine par l’escalier de la cave. Restée seule, elle prit son lait disposé comme à l’habitude sur une petite table à l’entrée du cellier ; elle vida le pot de quatre chopines dans son bidon et retourna au château, encore toute décontenancée par l’attitude d’Antoine. Elle repassa dans sa tête ce qu’elle avait bien pu dire de blessant. Point de doute, Antoine était jaloux, jaloux parce que ce sergent lui avait parlé de kilbe et de danse.

-Qu’il est bête ! se dit-elle. Mais c’est bien la preuve qu’il m’aime, et qu’il tient à moi…

Rassurée, elle arriva au château. Pendant ce temps Antoine, assis sur la dernière marche de l’escalier, ruminait et ressassait les dernières paroles de Suzy. Il évoquait l’odieuse figure de ce sergent Ottinger, déjà trop connu dans le pays.

De rage et de dépit, il alla remplir un gobelet du meilleur vin qui mâturait dans les fûts de chêne ; il le vida d’un trait, resta encore un instant songeur, puis, brusquement remonta au cellier et se précipita dans la rue, descendit une vingtaine de mètres, traversa la petite place, poussa un portail à sa droite et appela :

-Philippe !

Sorti de l’ombre de son étable, derrière le cellier, Philippe Becker était là, un peu surpris.

-C’est toi ? Qu’est-ce qui se passe ? Du nouveau à propos des militaires de ce matin ?

-Du nouveau, oui. Avec le capitaine il y avait Ottinger, le sergent recruteur d’il y a trois ans ! Eh bien, ces gens sont venus pour nous annoncer qu’ils tiendront la kilbe, avec la bénédiction du Prince Max !

-C’est Suzanne qui t’a dit ça ?

-Elle vient de l’apprendre ; et ce Ottinger l’a déjà invitée pour la danse, le salaud !

-T’en fais pas pour la danse ; nous ne la lâcherons pas, ta Suzy. Mais il s’agit d’autre chose. Tu sais comme ils ont pris au piège le Littinger Pierre et le Max Doritam, il y a trois ans. Ottinger paie largement à boire, promet des fortunes, raconte des aventures, rit, fait rire, fait boire encore et puis fait signer aux pauvres diables un engagement dont ils ne peuvent plus se défaire. Tu vois, c’est ça qu’il faut empêcher, parce qu’il y a encore assez de pauvres bougres chez nous pour se laisser prendre. Ecoute, nous en reparlerons aux camarades. Il faut être nombreux et bien s’entendre, bien se serrer les coudes !

-D’accord, je vais en parler à Frédéric. En ce moment je peux le trouver chez Wernier " Au Cerf ". J’y vais tout de suite.

-Ne t’emballe pas. Si tu veux, on se retrouve avec les amis après-demain, samedi soir à huit heures au cerf . D’accord ?

-Après-demain ?… Bon, si tu veux. On aura le temps de prévenir les camarades . Alors salut, je vais déjà voir Frédéric.

Tandis qu’Antoine franchissait d’un pas rapide la place qui s’étend devant la maison de Philippe pour se rendre chez Jean Wernier, l’aubergiste-gourmet " Au Cerf ", Philippe alla s’asseoir sur le banc de pierre de son jardin.

Depuis une vingtaine d’années, à l’instar de quelques autres bourgeois dont les maisons s’adossaient au mur d’enceinte de la ville, son père avait percé cette épaisse muraille d’une porte qui permettait donc d’aller de plain-pied de la cave au jardin, dans l’ancien fossé, le " Grabengarten ".

 

 

3/ Les privilèges s’effritent

 

Depuis le début du siècle, les bourgeois constataient que les fossés et le rempart de la ville n’étaient plus d’aucune utilité stratégique, mais constituaient tout autour des murailles une large zone de friches. Ils se mirent donc peu à peu à s’en faire des potagers, s’appropriant ainsi, sans formalités, des terres qui, en somme, revenaient à la seigneurie.

En 1731 le chancelier de son Altesse Sérénissime rendit son maître attentif à cet empiétement, précisant que, selon la lettre d’investiture de l’Evêché de Strasbourg, suzerain de la seigneurie, cette dernière avait en jouissance:

" …Burg Zellenberg samt Zwing und Bann… " Ce mot Zwing veut dire le rempart et les fossés qui environnent la ville. Le mot Bann comprend les communes desquelles le seigneur peut disposer…

Le chancelier accusait : " Il y a plusieurs années que les habitants de Zellenberg ont commencé à défricher les fossés et le rempart pour en faire des potagers, et ce de leur propre chef, sans la permission du seigneur, par la seule négligence des Receveurs et Prévôts du lieu, qui devaient empêcher ces sortes d’entreprises. "

" Parmi ces habitants se trouvait le nommé Mathieu Viccant, Receveur du Grand Chapitre de Strasbourg, lequel défrichait une place de la longueur de la maison de dîme et curiale. Les prédécesseurs de M. Niceron, curé du lieu, voyant la procédure du Prévôt et consorts, ont cru être dans le même droit, et commencèrent à défricher derrière la maison curiale sans autorisation ; ils se sont mis en possession jusqu’aujourd’hui… "

Ces procédés débutèrent dès 1711, l’exemple venant, comme on l’a vu dans cette accusation, des notables eux-mêmes. Pour arranger les choses, on régularisa ces appropriations par des baux " emphytéotiques " de longue durée et héréditaires (Erblehen). Ainsi donc les nobles cédaient, et, devant l’intransigeance des bourgeois, abdiquaient peu à peu leur autorité.

Les rusés bourgeois de Zellenberg trouvèrent un revenu nouveau à tirer de ces parcelles, comme le précise le Garde-Chasse Jean Stirn dans son rapport daté du 10 janvier 1767.

" …depuis qu’il fait clair de lune, les habitants de Zellenberg demeurant sur les murs de cette ville et qui ont des jardins potagers aux pieds de ces murailles, avec des échelles sur lesquelles ils peuvent monter et descendre à tout instant, savent se servir de cette commodité pour tirer les lièvres qui viennent se nourrir des choux que ces particuliers plantent expressément dans leurs jardins et qu’ils y laissent en hiver pour amorcer les lièvres et pour avoir la commodité de les tirer par les fenêtres où ils sont à l’affût pendant la clarté des nuits.

…Le comparant entend toutes les nuits beaucoup de coups de fusil, mais avant qu’il puisse arriver à l’endroit d’où il les a entendus, les délinquants se sont déjà emparés des lièvres et se sont sauvés par le moyen des échelles qu’ils ont appliquées à leurs volets… "

Le braconnage était, au XVIIIe siècle, pour les bourgeois, une débrouillardise pour laquelle on ne se faisait aucun cas de conscience. Pourquoi le gibier n’appartiendrait-il qu’au seigneur, qui le laisse pulluler et détruire les récoltes ?

Aussi, ne nous étonnons pas de lire le rapport du 28 avril 1742 de Jean Hoffmann, bourgeois et forestier de Zellenberg : il nous conte comment il trouva le sieur Séraphond, curé du lieu, en train de chasser dans les vignes avec un fusil. Les Dîmes rentraient si mal qu’il fallait bien s’aider soi-même pour que le ciel aidât. Le sieur Séraphond cachait son fusil dans l’église du bas. Adam Ringeisen de Ribeauvillé et Adam Roeckel de Zellenberg l’y ont trouvé, derrière l’autel, chargé de plombs à lièvres.

Un autre rapport du 5 janvier 1765 fait par Jean Stirn, forestier assermenté accuse le curé Dillenschneider d’avoir tiré sur un lièvre depuis les fenêtres de sa " maison curiale " et de l’avoir vite récupéré, aidé de sa cuisinière.

Bientôt on trouva les échelles trop incommodes pour se rendre aux jardins ; le presbytère avait déjà sa sortie sur le potager. Puisqu’on avait construit l’église nouvelle hors des murs et qu’on ne fermait plus la porte la nuit, ces protections moyenâgeuses devenant bien dérisoires, on se mit, l’un après l’autre, à percer le mur d’enceinte pour pouvoir ainsi, depuis la cave, sortir de plain-pied dans le jardin.

 

 

4/Un projet de kilbe

 

Ce soir-là Philippe alla goûter l’agréable tiédeur du crépuscule derrière sa maison. Il voulait rester seul pour réfléchir à cette affaire, qui l’avait bien un peu énervé. D’une nature apparemment calme, pondérée, et pourtant bouillonnant dans l’âme lorsqu’on voulait porter atteinte à ses prérogatives, à son indépendance, il n’extériorisait guère ses sentiments. Toucher aux privilèges de sa petite ville, c’était aussi s’en prendre à lui. Il comptait des aïeux, des oncles , prévôts de ce lieu ou dîmiers du Grand Chapitre de Strasbourg.

De vils racoleurs, des recruteurs mercenaires, fourbes et malhonnêtes allaient venir imposer leur kermesse le jour de la fête patronale, pour profiter de l’affluence et de la gaieté du jour et prendre au piège de naïfs jeunes gens qu’ils auront enivrés.

-Vous avez pu, il y a trois ans, chambrer quelques braves garçons que vous n’avez plus lâchés après leur malheureux trait de plume. C’était si simple : tout juste une croix au bas d’un papier illisible ! et lorsque, dessoûlés, ils imploraient, ils pleuraient comme des gosses, vous, vous avez ri et vous avez empoché votre prime. Mais cette fois, nous sommes prévenus : votre sordide commerce d’esclaves ne réussira plus. S’il le faut, nous arracherons la plume des mains de vos proies.

La nuit porte conseil. Le lendemain, lorsque le bon vieux curé Herrenberger remontait au village, au sortir de sa messe matinale, pour regagner son beau presbytère tout neuf (il venait d’être achevé deux ans auparavant) Philippe se tenait devant son portail.

-Belle journée, Monsieur le curé !

-Bonjour mon fils. Je sens que tu veux me dire quelque chose.

-C’est bien ça, Monsieur le Curé. Auriez vous une minute ? C’est important, ce que j’ai à vous apprendre.

-Eh bien ! viens donc jusque chez moi.

Le prêtre, grand, voûté, la soutane un peu roussie par le soleil et la pluie, marchait à côté du jeune homme légèrement plus petit que lui mais droit, hâlé, un solide gaillard de vingt huit ans.

-Alors, mon garçon, tu veux donc te marier ? C’est ça ?

-Ah non ! ce n’est pas ça, Monsieur le Curé. Voyez-vous ce n’est pas d’une affaire personnelle que je voulais vous entretenir.

-Bien, bien, alors, vas-y !

-Voilà. Vous avez peut-être vu vous-même, hier matin, monter cinq cavaliers vers le château ?

-Les soldats ? Oui, et alors ?

-C’est pour la kilbe qu’ils sont venus. Le bailli leur a donné tout loisir d’organiser leur kermesse le jour de la fête patronale, pour faire du racolage, vous savez, comme il y a trois ans !

-Ah oui ?… Et qui t’a si bien renseigné ?

Le curé était visiblement troublé. Il s’assit dans son vieux fauteuil de velours rouge râpé.

-C’est la Suzy du château. Il y avait ce Ottinger de la dernière fois. C’est lui qui lui a tout dit.

- Je n’aime pas ça !…Non, je n’aime pas ça du tout. Ecoute, en attendant je te remercie de m’avoir prévenu. Si tu en sais davantage, viens me voir. Je réfléchirai . Je verrai ce qu’on peut faire. Je vais en parler à mes confrères.

Et tandis que Philippe s’en retournait chez lui où l’attendaient déjà Antoine et Frédéric pour s’occuper du foin coupé la veille, le vieux curé arpentait en diagonale la spacieuse entrée de son logis et en oublia de déjeuner.

Quelque temps après, on vit le septuagénaire, plus voûté que jamais, redescendre vers l’église et s’y installer dans le premier banc, mi-assis, mi à genoux, le front dans ses mains. C’est ici qu’il était venu consulter son premier collègue, son défunt prédécesseur Jean Dillenschneider. A l’entrée du chœur, au bas des marches, une dalle de grès rose abritait depuis dix ans le repos de cet éminent confrère.

Longtemps il resta ainsi, à méditer, à réfléchir, à implorer la compétence de son illustre prédécesseur qui aurait pu, avec plus d’autorité que lui-même, conjurer l’orage. Il s’en faisait un sérieux cas de conscience, se sachant responsable de ses paroissiens devant le Juge Suprême. C’était bien connu : les jeunes gens qui s’engageaient dans l’armée étaient perdus, moralement perdus et perdus pour l’Eglise. Les méthodes des racoleurs étaient si éprouvées, si malignes et perverses, que les jeunes paysans naïfs s’y laissaient prendre comme des lapins au lacet. Quelques jours plus tard c’était le voyage gratuit en fourgon militaire vers Strasbourg où, dès l’arrivée en caserne, commençaient les épreuves. Il fallait subir les anciens, les sergents. On logeait par escouades de 15 à 20 hommes dans une seule pièce, où l’on cuisinait et dormait. Les hommes de troupe étaient ainsi isolés de la société et tout comme les colporteurs et les vagabonds, échappaient totalement à la sollicitude de l’Eglise.

Alors lui, Ulrich Herrenberger promit à son digne prédécesseur et à St Ulrich son auguste patron et patron de la paroisse, de défendre son troupeau contre les loups ravisseurs.

Lorsqu’il releva la tête, comme au sortir d’un cauchemar, il remarqua que la sueur perlait sur son front. Il s’essuya, s’assit un moment puis, lentement, reprit le chemin du presbytère. Les enfants descendaient bruyamment l’escalier de bois de leur école. Leur maître, Jean Baptiste Hunckler, les suivait d’un regard sévère, accoudé à une fenêtre au-dessus de la porte d’entrée de la ville. C’est là qu’on avait installé la vaste salle de classe. C’est là aussi que le prévôt Michel Stirn réunissait de temps en temps ses jurés.

La rue était inondée par cette vague d’enfants et on pouvait se demander ce que le brave magister pouvait bien inculquer, à coups de baguette, à cette cinquantaine de marmots, nombre presque doublé en hiver : le catéchisme, l’histoire biblique, des cantiques certes, un peu de lecture et de calcul aussi. Que pouvait-on exiger de plus pour un salaire annuel de douze florins et quatorze mesures de vin ; il est vrai que chaque enfant versait six deniers d’écolage par trimestre et apportait chaque jour d’hiver sa bûche de bois. Mais il était essentiel que le maître d’école fût bien soumis au curé et au Schultheiss, qu’il s’acquittât avec scrupule de ses autres fonctions : sacristain, organiste, sonneur de cloches, remonteur de l’horloge communale et garde à la porte d’entrée de la ville.

Un peu plus tard donc maître Hunckler, coiffé d’une petite calotte noire, descendit les quelques pas qui séparaient sa demeure de l’église et alla tirer sur la corde qui se balançait dans le chœur, pour annoncer l’angélus et la fin d’une matinée de travail. Du haut de la tour où il réglait et remontait l’horloge, il vit converger de toutes parts les pas traînants et fatigués des vignerons, la pioche sur l’épaule. Avec une secrète fierté, maître Hunckler se sentait un peu l’arbitre du travail quotidien.

Ce jour-là, tout comme les autres, les vignes furent piochées, les foins furent rentrés, les bêtes menées à paître puis abreuvées à la fontaine. Et notre magister arbitra une fois de plus la fin d’une chaude journée d’été.

Ce même soir Antoine évita la porteuse de lait. Bouderie ? Epreuve imposée par la jalousie ? Discrétion au sujet de ce qui se tramait ? Qui sait ? On s’était bien promis d’être très discret, de feindre l’indifférence, pour éviter qu’un plan d’action fût déjoué. Le samedi soir des jeunes gens apparemment assoiffés par la chaleur de cette mi-juin si caniculaire se retrouvèrent chez Jean Wernier, " au Cerf ". L’aubergiste leur ouvrit la petite salle du fond où on serait plus tranquille. Lui-même avait été mis au courant de l’affaire par Antoine et Frédéric dès l’avant-veille.

Une douzaine de garçons avaient répondu au rendez-vous : Antoine Rudolf et Frédéric Laurent Stinnes, la trentaine révolue, étaient les plus âgés ; Jean Georges Fuchs, le protégé et voisin d’Antoine n’avait que seize ans. Mais ce fut Philippe Becker, dont le calme et le bon sens lui donnaient une sorte d’autorité admise qui parla :

-Vous êtes tous au courant de l’affaire. Eh bien, je voudrais d’abord que vous ayiez tous la fierté de bourgeois libres de notre petite ville, car nous avons à défendre des privilèges vieux de cinq siècles ! Nous ne nous laisserons pas imposer la kermesse des militaires et des racoleurs. Nous voulons seuls, avec notre curé et les notables de la ville, disposer de notre fête patronale. Certes nous savons que le Schultheiss ne nous sera d’aucun secours : nommé par le bailli, il ne peut faire que ses volontés. Vivement le jour où nous élirons nous-mêmes nos notables, nos jurés, notre prévôt ! Et où nos corvées profiteront à la ville et non plus au château.

-Mais dans notre affaire, il nous faut avant tout éviter que des camarades d’ici et des environs soient enrôlés par ruse et par force, comme cela s’est fait il y a trois ans. Vous devez savoir ce qui attend le soldat en caserne…

Philippe dépeignit sans ménagement le sort du jeune engagé. Lorsqu’il ajouta que, dégoûté, le soldat essayait parfois de déserter, ce qui pouvait le mener au peloton d’exécution, il ne fallut pas davantage de paroles pour décider chacun à l’action. Mais que faire ? on en discuta fort et toutes les formes de violences furent envisagées. Jean Michel Alter, le ferblantier de vingt quatre ans, mit en garde contre de tels procédés, qui pouvaient avoir des suites trop graves.

-Ecoutez, soyons rusés. Empêchons-les de parler, de faire leur propagande, en entonnant ensemble des chansons dès qu’ils ouvrent la bouche…

-Posons-leur des questions stupides, pour faire rire à leurs dépens…

-Et s’ils servent à boire, surtout ne buvez pas ! Pas une goutte ! Videz vos verres sous la table !

Antoine, qui n’avait que sa Suzy en tête, dit :

-Vous savez bien, ils feront la danse, ils prendront nos filles ! Et alors ?

-Ecoute, Antoine, -c’est Philippe qui répondait,- laisse donc ce Ottinger faire quelques danses avec Suzy….

-Hein ? Quoi ?…

-Laisse moi parler. Suzy nous rendra un grand service. Elle proposera une promenade au Schlossberg à son danseur. Ainsi Ottinger sera séparé de ses hommes. Et nous aurons un bon motif pour lui faire la leçon, sans mettre le racolage en cause ! Nous serons par hasard à trois ou quatre derrière les sureaux du chemin et nous prendrons l’oiseau en flagrant délit, d’autant plus que Ottinger est marié ! Et Suzy sera hors de cause.

-Ah oui ? Tu crois ? Et tu penses que Suzy va marcher ? Et qu’elle saura tenir sa langue ?

-Mais oui, elle marchera ! Et pour ne pas mettre trop longtemps sa langue à si rude épreuve, on ne la mettra au courant de notre plan qu’à la veille de la kilbe.

-Eh bien ! Tu feras bien de te charger toi-même de la convaincre.

-Bien, bien, je m’en charge, Antoine ! Laisse moi faire. Mais vous tous, pas un mot de tout cela à personne ! Jurez-le !

Eh oui, ces jeunes gens se prenaient au sérieux. Ils levèrent la main et jurèrent de garder le secret. Dès ce moment il ne fut plus question de la kermesse. Si bien que, lorsque quinze jours plus tard une escouade du Royal-Alsace, avec tambour et trompette, traversa le village et les localités voisines, pour annoncer la kilbe du quatre juillet, ce fut cette fois pour les parents et les vieux la consternation. Il y eut parmi eux des protestations, des jurons …

-Il faut faire quelque chose, il faut empêcher ça !

Mais personne ne fit rien, n’empêcha rien, comme par le passé. Et lorsqu’un jeune souriait, on se fâchait : " Vous les jeunes, vous ne pensez qu’à vous amuser ! Mais ça vous passera… "

Philippe était retourné voir le curé et l’avait mis au courant.

-Surtout pas de violences, mes enfants ! Pas de blessures, pas de sang !

-Ne vous faites pas de soucis, Monsieur le Curé. Nous serons assez nombreux pour n’avoir pas à lui faire de mal, à ce brave sergent ! Nous lui caresserons tout juste son bel uniforme !

-Soyez prudents ! Ottinger a l’appui sans réserve de ses maîtres. Et le prince n’est pas enclin à lui enlever le privilège qu’il lui a donné sur toutes les kilbes des environs : il apprécie trop le service qu’il lui rend, en fournissant son régiment en recrues. Vois-tu, j’ai parlé à mon cher collègue Dupont de Bennwihr. Il m’a fait part de la lettre qu’il a envoyée l’an passé, à ce propos, à messire Radius, le chancelier du Prince Max.

-Et alors ?

-Malgré l’habileté de cette lettre que j’ai pu lire, la kilbe a eu lieu ! Eh oui, mon garçon, rien à faire de ce côté.

-Bon ! Alors à nous de jouer !

Il y eut aussi, parmi les bourgeois, un homme qui ne put se résoudre à la passivité. François Antoine Muller n’était d’ailleurs pas un bourgeois comme les autres. Fils du maître tailleur Antoine Muller, originaire de Pfaffenheim, il était né à Zellenberg en 1737. Comme tous les artisans, notre maître tailleur était vigneron pendant la bonne saison, réservant l’aiguille aux périodes creuses de la viticulture. Le fils préféra l’art du perruquier qu’il alla apprendre à Ribeauvillé. Comme le médiocre ne lui convenait pas, il partit faire son tour de France, s’arrêtant longtemps à Paris, où il se mit au courant de la mode. Il coiffa tant de beau monde que, revenu au pays, il devint le perruquier des princes et des princesses de Ribeaupierre et de leur cour nombreuse. Son frère Jean-Jacques, de douze ans plus jeune, apprit chez lui le même métier.

François Antoine avait pris goût aux voyages, à la grande ville et au beau monde. Après 1770 il décida de partir pour la Russie où régnait Catherine II , la grande Catherine, et où on était encore tout enjoué des idées, de la langue et de la mode française. Dans ce voyage, il fut accompagné du jeune Paul Antoine Stössel qui avait à peine vingt ans ; il comptait faire fortune dans le commerce de drap et avec son métier de tailleur d’habits.

Nos deux Zellenbergeois s’établirent à Moscou, chacun de son côté et firent de bonnes affaires. François Antoine Muller coiffa la haute société à la mode parisienne et fit ainsi la connaissance d’une jeune beauté russe, de vingt ans plus jeune que lui : Eudokia Anna Tischkeva, de la noblesse terrienne russe. Ainsi donc, nanti d’une jolie femme, d’une dot intéressante et d’une fortune personnelle bien arrondie, François Antoine revint à Zellenberg au début de 1780. Il fit aussitôt construire un manoir cossu hors de la cité, près du vieux puits dit " Schwenkelbrunnen ". Son compagnon Stössel avait également épousé une femme russe, mais il ne revint plus au pays.

Notre perruquier avait également rapporté de Russie des idées que les philosophes français, Montesquieu, Voltaire, Diderot… avaient semées là-bas. La Tsarine elle-même, qui parlait parfaitement notre langue, disait : " Le souverain est toujours coupable, si ses sujets sont mécontents de lui . "

Mécontent, on l’était alors, à Zellenberg. Muller pensa d’abord s’entretenir là dessus avec le curé, dont la réputation d’homme instruit, sensé et discret lui valait la confiance de tous.

-Si vous, Monsieur le Curé, si vous ne dites qu’un mot, cette Kilbe n’aura pas lieu. Vous avez tout le village avec vous, à part le Schultheiss, qui doit évidemment prendre le parti de ses maîtres. Mais tous marcheront, si vous ne dites qu’une bonne parole.

-Je sais, mon ami, je sais ; mais il y a sans doute un moyen de réagir. Mais je vous en supplie : sans violence ! Si une résistance organisée dégénérait en rixe, les conséquences pour certains seraient plus graves que l’enrôlement dans l’armée du roi. Si vous êtes pour une action, je vous en prie, trouvez une solution…pacifique. Oui, je suis allé voir le prévôt, je lui ai parlé, même un peu durement. Rien à faire de ce côté-là. Ecoutez, allez donc voir Philippe Becker.

-Ah oui ? Donc il vous en a déjà parlé ? Bien, très bien, j’irai le voir.

C’est ainsi qu’Antoine Muller fut mis au courant. Avec son frère Jean, il organisa l’action des bourgeois. Cette fois le village entier sut bientôt qu’on allait, de concert, organiser un sabotage en règle de la kilbe. Les Muller avaient donné des consignes précises que seul le Prévôt et ses jurés ignoraient. Mais les jeunes gardèrent le secret de leur propre stratégie.



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