Horizon 2000

Publié le par Jean Marie PFISTER

 

En notre fin de siècle l’homme extra-lucide

fourre son nez partout, ainsi qu’un fin limier.

Il sonde l’Océan en scaphandre impavide,

et dérobe au sous-sol tous les trésors miniers.

Nous savons dénombrer tous les ions des atomes,

et nous domestiquons protons et électrons.

Nous créons des robots tout à fait autonomes,

des usines tournant sous le doigt du patron.

Nous sommes touche-à-tout, et nous savons tout faire,

des jus de fruits sans fruits, des cultures sans terre ;

Mais, quant à résorber nos millions de chômeurs …

Incurable tumeur !

 

 

 

Nous allons ramasser des cailloux sur la lune ;

nous polluons le ciel de mille engins spatiaux,

et nous y consacrons une immense fortune,

car telle est l’exigence de nos jeux martiaux.

Nous savons dépêcher, sans pensées érotiques,

à la belle Vénus d’indiscrets messagers,

et nos missiles vont au bout de l’écliptique,

et frôlent en passant des mondes étrangers.

Nous lançons des fusées aux confins de l’espace,

espérant y trouver des êtres d’autres races.

Cependant qu’à nos portes souffrent tant d’humains :

Là, nous n’y pouvons rien !

 

 

 

Nos chimistes aussi font des prouesses folles ;

leurs pesticides ont stérilisé nos champs ;

nos chimiques engrais viennent à tour de rôle

assaisonner nos eaux comme en marais salant.

Notre biologie fournit les œstrogènes,

cela fait les veaux gras et les poulets dodus,

car l’élevage aussi se travaille à la chaîne,

pour que Gargantua soit constamment repu.

Faisons l’éloge enfin des savants atomistes,

ces gens qui font la bombe, et qui sont optimistes!

Ces missiles pourtant, quel sera leur destin?

Là, nous n’en savons rien !

 

 

 

Nous nous précipitons au bout du millénaire

avec des performances de rapidité.

Nous nous lançons à des vitesses suicidaires,

comme pour rencontrer plus tôt l’éternité.

L’homme affairé s’en va, en bonds supersoniques,

par-dessus l’Océan pour signer un papier,

à moins qu’il ne préfère, en vol stratosphérique

faire dix ou vingt fois le tour du monde entier.

Il connaît le réseau complet des autoroutes,

Et tous les bons endroits où l’on casse la croûte.

Mais les bois pleins d’oiseaux et les prés pleins de fleurs,

ça n’a pas de valeur.

 

 

Enfants de Prométhée, nos idéaux nous brûlent,

nos rêves sont béants, nos forces mesurées,

et nous nous égarons en projets ridicules,

qui déçoivent toujours l’âme désemparée.

Si nous prions nos dieux de nous donner des ailes,

c’est pour nous évader, comme Icare jadis,

impuissants à mener nos sociétés rebelles,

avides de trouver ailleurs un paradis.

Le jour où nous aurons souillé notre planète,

que nous l’aurons pillée, en gérants malhonnêtes,

trouvera-t-on encor, pour nos petits-enfants

des lendemains chantants ?

 

Marcel Pfister 1980

Publié dans POÊMES

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